Cela n'a probablement échappé à personne, mais depuis le 18 janvier 2024 nous assistons en France à une série de manifestations et de blocages routiers organisés principalement par les syndicats agricoles (FNSEA, Jeunes agriculteurs, Coordination rurale, Confédération paysanne).
Dans l’ensemble, l’on comprend surtout que le travail de la terre ne paie plus, alors que dans le même temps les agriculteurs n’ont pourtant jamais été aussi productifs. Le sujet de la transition agricole semble ainsi sur la table et à Facilit&co, nous y sommes évidemment sensibles.
En tant qu'économiste, voici une brève sélection d’articles que j’ai pu lire sur le sujet et qui soulèvent avec précision les dysfonctionnements actuels de notre organisation économique, que nous allons un jour ou l'autre devoir adresser :
Un article de LundiAM - « Décrypter le mouvement des agriculteurs »
« Nos revenus sont évidemment très dépendants du prix auquel on vend nos produits. Il y a 5 ans Macron avait fait des annonces avec les lois Egalim : pas de vente de produits agricoles sous les coûts de production. Sauf que ce sont les grands groupes de la distribution qui déterminent combien on doit être payés, même si leur estimation de nos coûts n’ont rien à voir avec la réalité. Il y a donc une colère vis-à-vis de l’agro-industrie et de la grande distribution, mais c’est aussi parce que l’État n’a jamais voulu leur tordre le bras.
[…] Après il y a de vraies questions sur les produits que l’on utilise. Dans notre modèle économique de libre-échange, si on n’utilise plus de pesticides, on se retrouve à ne plus être compétitifs. Et donc il y a ce faux choix : se suicider économiquement ou se suicider à petit feu avec les produits qu’on utilise. Nous ce qu’on dit c’est que la seule solution, c’est de sortir des accords de libre-échange et de l’injonction à la compétitivité mondiale. »
➔ En France (et dans l'U.E.), l'organisation économique repose sur des traités qui postulent que la croissance du P.I.B. est à prioriser pour assurer la bonne marche de nos économies. Or, on constate ici que la croissance du chiffre d'affaires des uns ne rend pas compte du sacrifice des autres, tant sur le plan pécuniaire que sur celui de la santé.
Un article de l’ObSoCo - « Qui sont les agriculteurs ? » + Un article de Rtes - « Libérer la commande publique sur l'alimentation »
« La France se place au 6e rang des plus gros exportateurs agricoles mondiaux. Ces chiffres impressionnants cachent néanmoins une perte de vitesse de l’agriculture française, notamment incarnée par la hausse tendancielle des importations : environ 20% de « l’assiette française » est importée. Si tous les secteurs sont touchés, la perte d’autonomie alimentaire est plus critique pour les fruits (71% d’importations), les légumes (28% d’importations) et certaines viandes, 1 poulet sur 2 étant importé. »
Le second article met en avant un plaidoyer incitant à mieux utiliser le levier de la commande publique, afin « d’introduire des critères géographiques dans les marchés d’achat de denrée. Il ne s’agit pas de promouvoir le local pour le local, mais bien un local qui contribue au développement du territoire et à sa résilience globale. Toute collectivité devrait pouvoir être en capacité d’acheter demain, de manière sécurisée, au producteur qui pourra contribuer à planter des haies, à restaurer les sols, à contribuer à la qualité de l’air, de l’eau, aux enjeux de diversification agricole et de réimplantation de certaines filières sur son territoire. »
➔ La théorie économique en vigueur dans les pays occidentaux depuis les années 80 part du principe que le rôle des États est de mettre en place des mesures favorables à la compétitivité, puis de s'effacer. Or, cette stratégie ne semble toujours pas fonctionner et c'est pourquoi les idées protectionnistes reprennent du terrain.
Un article de Démocraties - « Villes et citoyens pour une démocratie alimentaire »
« Le changement des modes de production des aliments passe probablement par une re-territorialisation de la production, plus proche des lieux de consommation et faite d’exploitations de taille raisonnable. Pourquoi ? Parce que le pari, c’est que les rapports de pouvoir entre les producteurs, les consommateurs et les entreprises sont plus équilibrés à une échelle territoriale qu’à une échelle nationale ou européenne. […] Le pilotage des systèmes alimentaires ne doit pas être laissé aux seuls experts et aux lobbies industriels comme c’est le cas actuellement. »
➔ La pensée économique dominante stipule que la concurrence et la mondialisation portent le progrès, et qu'il serait contreproductif de les temporiser (le fameux "There is no alternative" de Mme Thatcher). Or, principe de subsidiarité oblige, plus les acteurs sont "gros", moins ils connaissent et respectent les réalités du terrain.
Un article de Finansol - « Comment financer la terre de demain ? »
Cet article traite du lien entre épargne solidaire et transition agricole. « Aujourd'hui, de nombreuses fermes disparaissent chaque semaine du fait de l'artificialisation, ou au profit de l'agrandissement de fermes déjà existantes. Or l’accès au foncier pour les agriculteurs est “nécessaire à l'entreprise agricole mais difficilement supportable par l'agriculteur.” Les foncières solidaires agricoles peuvent acquérir des terres, les mettre à disposition des agriculteurs à des conditions avantageuses, et veiller à ce que ces terres soient utilisées de manière responsable, favorisant ainsi la préservation de l'environnement et le maintien d'une agriculture éthique et solidaire. »
➔ Avec le tournant néolibéral des années 80, nous avons pu observer la financiarisation de nos économies, les institutions financières internationales étant perçues comme plus compétentes que l’État pour diriger la monnaie vers ce qui permettra au pays de bien se développer. Depuis, nous ne savons plus financer ce qui est utile mais peu rentable.
En conclusion, le mouvement des agriculteurs révèle de profondes failles dans notre organisation économique et il apparaît que pour résoudre cette crise agricole, il ne faudra pas compter sur les politiques économiques actuelles, ni bien sûr sur les mêmes logiques qui les sous-tendent.
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Si découvrir des logiques économiques alternatives vous intéresse, j'ai créé avec Ammoneo un atelier participatif intitulé “La Fresque de l'économie politique”, qui vise à transmettre les clés de compréhension de l'économie de façon ludique, clés - qui comme on vient de le voir - éclairent nombre des problématiques soulevées par le mouvement des agriculteurs.
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